J’ai toujours été intrigué par les interactions entre plusieurs choses, de là mon choix de la concentration physiologie (étude du fonctionnement du corps) lors de mon baccalauréat en biologie : interactions entre les systèmes, entre les multiples sentiers métaboliques, etc. Au cours des années, le corps s’étalait en un chantier intrigant étonnamment complexe.
Une véritable boîte de Pandore
À quels endroits s’exprime la toxicité dans ce véritable labyrinthe ? D’autre part, l’essor de l’industrie chimique a apporté dans l’environnement des milliers de substances toxiques artificielles auxquelles le corps n’était pas préparé. En plus, ce corps si complexe vit des situations d’une variabilité impressionnante selon les individus en fonction de l’alimentation, de l’activité physique, du degré de stress, des expériences de vie, des mutations, etc., et qui favorisent les différences entre les individus : toute expérience scientifique montre que certains réagissent très différemment du groupe.
Prenons l’exemple des pesticides. Par mesure de précaution, on en évalue l’éventuelle toxicité puisque leur rôle est de tuer pour améliorer la productivité des cultures. J’étais intrigué par le fait qu’on ne parlait pas de la toxicité de mélanges de pesticides : y aurait-il des synergies toxiques pour notre organisme du fait d’ingérer les résidus de plus d’un pesticide ? Car les pesticides utilisés dans les cultures varient selon qu’il s’agit de maïs, de pommes et ainsi de suite, mais ils se retrouvent tous ensemble dans notre organisme.
Or on connaît les interactions multiples entre différentes substances : interactions médicamenteuses, entre médicaments et aliments, entre aliments, etc. Un jour, je posai la question à un expert lors de sa conférence sur les substances toxiques environnementales. On n’a tout simplement pas le temps de le faire, me répondit-il. Inquiétant, car il y a bien d’autres substances questionnables, tels les additifs, etc. Mais comme les chercheurs fouinent partout, il y a bien des données sur le sujet.
Une féminisation tous azimuts
Une forte proportion des pesticides ont des propriétés des œstrogènes, les hormones féminines. La question devient de plus en plus préoccupante. On retrouve des poissons hermaphrodites (ayant les organes sexuels des deux sexes) dans nos rivières. Le taux de spermatozoïdes baisse de façon inquiétante dans le sperme.
Dès 2000, le groupe d’Andreas Kortenkamp s’est intéressé à des doses apparemment insignifiantes de quatre substances oestrogéniques, soient le pesticide DDT, deux acylphénols synthétiques et la génistéine, un antioxydant du soja en même temps qu’un phyto-œstrogène. À des doses insignifiantes pour être actives, ces quatre substances produisaient ensemble une action significativement efficace (1).
En avril 2001, on a testé quatre pesticides organochlorés à effet oestrogénique, le lindane, deux formes de DDT et un produit du métabolisme du DDT. Pas d’effet sur des cellules de sein à des doses très faibles, mais une action nettement efficace lorsque ces substances sont mélangées à ces très faibles concentrations (2). Or il y a tant de substances chimiques artificielles dans l’environnement. Aujourd’hui, nos jeunes se développent dans cette soupe…
Des couleurs troubles
Des chercheurs de Liverpool ont montré qu’un mélange de MSG et de bleu brillant, ou un mélange d’aspartame et de jaune de quinoléine bloquent la croissance de cellules nerveuses et interfèrent avec leur fonctionnement. Bien plus, l’effet sur les cellules du mélange MSG-bleu brillant était quatre fois plus prononcé que la somme de leurs effets individuels, alors que dans le cas du mélange aspartame-jaune de quinoléine, l’effet était sept fois plus fort (3).
Il y a évidemment d’autres données, mais c’en est assez pour se faire une tête. On devine l’importance de la question pour l’enfant chez qui la sensibilité aux agents chimiques est clairement plus grande que chez l’adulte. Malheureusement, le milieu scientifique, qui est à la source de ces substances, n’est pas près de renier leur création à laquelle il attribue la grande productivité de l’agriculture chimique actuelle, ce qui est discutable.
Des études montrent que la production biologique répond à presque tous les problèmes. Passons le message que, si le milieu scientifique consacrait ne serait-ce qu’une infime proportion des énormes sommes englouties dans la recherche sur l’agriculture chimique, le bio trouverait toutes les réponses.
Morale de cette histoire, mangeons bio, mais que ce ne soit pas au prix de s’exempter de manger des fruits et légumes sous prétexte qu’ils ne le sont pas.
1. Kortenkamp, A et coll. 2000. Environmental Health Perspectives, 108(10) : 983-987.
2. Environmental Health Perspectives, 2001, 109(4) : 391-397.
3. Lau, K et coll, 2006, Toxicological Sciences, 90(1) : 178-187.